Depuis des jours et des jours, notre roi soleil, d’un lancinant psittacisme nous annonce nos journées caniculaires. Pour échapper à la fournaise quotidienne, vingt deux adeptes de l’effort lent, se sont retrouvés au fond improbable du vallon rombéchat.
Depuis la Hingrie, le calme et la quiétude de la forêt nous accueille et nous fait progresser vers les hauteurs du col de Noirceux avec le Rombach et le Vollbach déroulant leurs lacets en contre-bas.
Malgré la pente, notre groupe avance prestement sur le chemin emprunté par les passeurs de la seconde guerre mondiale pour guider les réfractaires alsaciens vers les Vosges. Le travail du guide du jour est bien moins périlleux, aucune patrouille ennemie n’est à craindre. Sauf à incriminer les innombrables muriers garnis à souhait de succulents fruits noirs et juteux, et qui, traitreusement, jouent de leurs épines pour protéger leurs descendances.
Après le premier col nous dévoilant le val de Villé et le village de Lalaye, nous atteignons rapidement le col de la Schlingoutte, col tristement célèbre. Le 14 août 1914, 19 soldats français y sont tombés dans une embuscade et ont tous péri. Le plus âgé avait 27 ans. Le 9 août 1944 un bombardier américain s’y écrase à vide, l’équipage ayant quitté l’avion au-dessus de la forêt noire après avoir été touché par la défense anti aérienne allemande. Sur les neuf occupants, huit furent capturés et terminèrent la guerre en détention. Le neuvième, pilote par ailleurs, mourut dans l’accident.
Une sérieuse pente nous cueille immédiatement après le col. La voie était courte et droite mais raide. A croire que la fraicheur des sommets a dopé tous nos amis qui, sans rechigner, ont gravi cette difficulté avec le sourire en prime !
Encore quelques efforts et nous butons sur la frontière entre le Haut et le Bas Rhin. Nous en profitons pour reprendre des forces à cheval sur cette frontière intra-alsacienne.
Après la collation, nous insistons sur le fil tendu entre nos deux départements jusqu’à ce qu’un troisième nous barre la route. Au lieu-dit des trois bornes, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin embrassent le département des Vosges. Heureusement aucune rupture cataclysmique n’est survenue à cet instant notre groupe s’étant égayé sur les trois domaines !
Après ce point culminant de la journée, nous restons sur le fil Haut-Rhin Vosges en suivant l’ancienne frontière franco-germanique de 1871 matérialisée par les bornes alignées du Luxembourg jusqu’à la Suisse. Soit 4056 blocs de grès de 1.10m de hauteur totale espacés de telle manière que la prochaine soit toujours visible. Chacune de ces bornes coutait trente francs or (un ouvrier gagnait environ 2,60 francs par jour en 1871).
Au col de la Hingrie nous quittons définitivement nos fils frontières pour partir vers la chapelle de la goutte du prince déjà visitée et évoquée par procuration le 12 juillet dernier par suite du grincement de la charpente du guide titulaire d’alors.
Dernière étape au Creux chêne, abattu de longue date mais ayant légué son nom à cet endroit prisé par les sorcières. Un de leur sabbat, resté dans les annales, a permis à un valeureux jeune homme de guérir une avenante princesse lorraine par suite de la découverte du remède efficace contre l’envoutement envoyé par l’une de ces sombres Circé.
Quinze kilomètres et quatre cent vingt mètres de dénivelé et nous retrouvons notre point de départ. Mais la journée ne pouvait se terminer aussi sèchement. Une halte à la fête du village à Chatenois nous a permis de déguster moulte crémants, cervoises et autre lubrifiantes denrées.
Guide et texte : Patrick
Photos : Blanche, Philippe